Colmar, le 21 mai
Je me crois déjà votre ami, monsieur, et je supprime les cérémonies et les monsieur en sentinelle au haut d’une page. Je m’intéresse à votre bonheur comme si j’étais votre compatriote ; le bonheur est bien imparfait quand on vit seul. […] Il faut être deux, au moins, pour jouir de toutes les douceurs de la vie, et il faut n’être que deux, quand on a une femme comme celle que vous avez trouvée. J’en ai bien parlé avec la bonne Mme Goll. Elle sait combien Mme de Brenles a de mérite ; vous avez épousé votre semblable. Si je faisais encore de petits vers, je dirais :
Il faut trois dieux dans un ménage,
L’Amitié, l’Estime, et l’Amour ;
On dit qu’on les vit l’autre jour
Qui signaient voire mariage.
Pour moi, monsieur, je vais trouver les naïades ferrugineuses de Plombières. Le triste état où je suis m’empêche d’être témoin de votre félicité. (…) J’aurais encore, monsieur, un autre compliment à vous faire sur la charge et sur la dignité que vous venez d’obtenir dans votre patrie ; mais il en faut complimenter ceux qui auront affaire à vous, et je ne peux vous parler à présent que d’un bonheur qui est bien au-dessus des emplois. Permettez-moi de présenter mes respects à Mme de Brenles, et de vous renouveler les sentiments avec lesquels je compte être toute ma vie, etc.
Voltaire.

L’écriture de Voltaire

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